lundi, mai 29, 2006

Vivement l'ectogenèse ?


C’était hier la fête des mères en France. Bien évidemment, nous sourions volontiers aux chants et aux petits cadeaux patiemment fabriqués par nos enfants.
Mais l’hypocrisie de notre société d’opulence est terrible. Jamais sans doute, et alors qu’existent les moyens financiers, médicaux, structurels de ne pas laisser une telle cruauté se propager, les mères n’ont été aussi maltraitées en si grand nombre dans le monde et aussi universellement.
Le mépris des mères a atteint des proportions inimaginables dans toutes les sociétés sur l'ensemble de la planète (et même dans les nôtres, regardons de plus près ...).
Comme si nous n’avions plus besoin d’enfants en bonne santé, éduqués, respectueux de leur société et qui ne passent pas l’essentiel de leur temps à se débattre dans la misère et la violence.
Et parfois, il faudrait pouvoir hurler que nous avons suffisamment de richesses pour nous permettre d’assurer à toutes un bien-être décent, il suffirait de s’abstenir de jouer à la guerre un tant soit peu, de gaspiller pour plaire aux trop puissants, de dire " stop " à tous les rouleurs de mécanique machistes, qu’ils soient américains, arabes, chinois, africains ou que sais-je, et qui trouvent tous là un vrai terrain d’entente identitaire…
Une maternité digne pour toutes est un combat féministe qui a du sens.
Même si elle doit passer par des innovations technologiques comme le soutiennent Marcela iacub ou Henri Atlan, finalement, ces machos nous préparent la vraie révolution féministe, celle de l'utérus artificiel...
http://www.unicef.lu/fr/news/announcements/2005/12/14-sowc/index.html

vendredi, mai 26, 2006

Le déprogrammé...


La presse française vient d'inventer un superbe nom commun "déprogrammé". Etre déprogrammé ou ne pas l'être ? Telle est la question que se pose la Serbie quant à son entrée au répertoire européen.

Hier aussi dans Le Monde, un article nerveux et talentueux, de la jeune dramaturge belgradoise Bljana Srbljanovic, intitulé : "Ce que signifie être ami de la Serbie". Ce n'est pas tant l'affaire Handke qui suscite son indignation, car à juste titre, il est "déprogrammé" à tous les sens que l'on peut désormais imaginer pour ce terme (et là encore la SF nous ouvre des sens très appropriés, car le Handke penché sur la tombe du dictateur m'apparaît comme un clone mal programmé du Handke traducteur de René Char et scénariste des Ailes du désir...), mais l'utilisation du terme "pro-serbe" pour ceux qui soutiennent la dictature des années Milosevic.
Etre pro-serbe aujourd'hui ne serait-ce pas plutôt vouloir que la population qui a destitué elle-même le régime de la guerre entre dans l'espace européenn rapidement ? Qu'une génération entière puisse ne pas être enfermée dans d'étroites frontières ? Que la jeunesse serbe puisse voyager sans les humiliantes procédures de délivrance de trop rares visas ? Qu'elle puisse voir des musées, des capitales, des festivals, rencontrer des jeunes d'autres cultures ???
Pour lire cet article : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-775452,0.html


Un précision sémantique cependant, on peut être déprogrammé mais néanmoins honoré et primé, la vie intellectuelle adore les paradoxes ...
"Peter Handke, le déprogammé-du-Français, vient de voir l'ensemble de son oeuvre couronnée d'une des plus prestigieuses récompenses littéraires allemandes : le prix Heinrich Heine. Avant lui, W.G. Sebald, Elfriede Jelinek et d'autres écrivains de même envergure ont reçu cette distinction remise par la ville de Düsseldorf. A noter la présence dans le jury d'un Français, Jean-Pierre Lefebvre, l'un de nos meilleurs germanistes, traducteur notamment de Paul Celan et maître d'oeuvre de l'Anthologie bilingue de la poésie allemande parue en Pléiade en 1993. Manifestement, en couronnant l'oeuvre de Handke, le jury de Düsseldorf n'a pas tenu compte de son soutien inconditionnel à Svobodan Milosevic et à la cause serbe, contrairement à Marcel Bozonnet de la Comédie-Française. " in Pierre Assoulin, La République des livres, http://passouline.blog.lemonde.fr/livres/

mardi, mai 23, 2006

Dioclée ...





Voilà, nous vivons désormais dans un pays sans accès à la mer.
Comment la perte de cette influence maritime sera-t-elle ressentie ? quel sera le prix à payer de la naissance de deux nations nouvelles au cœur de l’Europe ?


Dans ce blog, je ne me permettrai pas d’émettre des opinions politiques sur ces pays, dont l’histoire complexe, le présent tragique et l’avenir incertain méritent une considération empreinte d’une intelligence et d’une culture qui me font défaut.

Simplement, je pense, banalement, que le résultat de ce referendum nécessitera une gestion symbolique et politique habile, courageuse et en délicatesse, tant en Serbie que dans les instances européennes.

Tout ceci m’a remis en mémoire l’ancienne Dioclée que fut le Montenegro.
A Dioclée est né Diocletien, cet empereur paradoxal, amoureux des pluralités, issu d’une famille pauvre et d’un père esclave, et qui inventa ce curieux mais fort utile dispositif gouvernemental : la tetrarchie.
Délaissant lui-même Rome pour se réserver la partie orientale de l’Empire dont il était natif, il parvint à organiser ainsi l’immensité de l’empire romain. Mais, tout ceci sera défait par son successeur, Constantin et son persistant fantasme imperial de l’unicité (politique et religieuse). Ainsi disparaîtra cette sage tentation de la cohabitation gouvernementale.

Voltaire aimait bien Diocletien, il lui portait même peut-être une trop grande indulgence, allant jusqu’à excuser ses massacres et ses persécutions. Mais la fin de la vie de cet empereur atypique attire toutefois notre bienveillance.
« Diocletien tomba malade cette année, et, se sentant affaibli, il fut le premier qui donna au monde l’exemple de l’abdication de l’empire. Il n’est pas aisé de savoir si cette abdication fut forcée ou non. Ce qui est certain, c’est qu’ayant recouvré la santé il vécut encore neuf ans, aussi honoré que paisible, dans sa retraite de Salone, au pays de sa naissance. Il disait qu’il n’avait commencé à vivre que du jour de sa retraite, et lorsqu’on le pressa de remonter sur le trône il répondit que le trône ne valait pas la tranquillité de sa vie, et qu’il prenait plus de plaisir à cultiver son jardin qu’il n’en avait eu à gouverner la terre. Que conclurez-vous de tous ces faits, sinon qu’avec de très grands défauts il régna en grand empereur, et qu’il acheva sa vie en philosophe? » (Dictionnaire philosophique)

Enfin, au moment, où la polémique Comédie Française/Handke/Serbie continue, un peu plus mollement certes, mais on en reste tout de même à deux articles au moins par jour dans la presse nationale française, il faut rappeler cet épisode théâtral (où l’on voit que le théâtre et la politique entretiennent toujours des liaisons passionnées…).
Alors que Diocletien est accusé d’organiser des persécutions contre les chrétiens à Antioche, il se trouve (d’après Voltaire) à Rome où il aurait assisté à une représentation d’une pièce de théâtre contre les chrétiens : représentation devenue fameuse entre toutes dans l’histoire du théâtre. L’acteur principal se nomme Genest. Illuminé par la grâce, il se convertit à la foi chrétienne durant cette même représentation, détourne son rôle et la pièce provoquant ainsi l’empereur : ce qui lui vaudra d’être décapité et de devenir le célèbre Saint Genest comédien et martyre immortalisé par la pièce de Jean de Rotrou (modèle de mise en abyme baroquissime) et par le livre de Jean-Paul Sartre !

Quand je disais que notre vie d'expatrié en Serbie c’est du pur Matrix…. !

jeudi, mai 18, 2006

20 ans, l'immaturité nucléaire...












"En observant ce qui se passe dans les territoires contaminés, on est bien davantage saisi par la métaphysique que par la physique" Galia Ackerman, citée in Jean-Pierre Dupuy, Retour de Tchernobyl, Journal d’un homme en colère

Le 26 avril dernier, c’était le 20ème anniversaire de Tchernobyl. Pas eu envie d’en parler. Etrange pourtant, pour avoir participé et organisé tellement de marches, de jeûnes, de conférences-débats, de projections-débats, de distributions de documents et même d’arrêts de train de déchets …pour connaître et aimer Hans Jonas, Ivan Illich, Hannah Arendt, Günther Anders, Paul Virilio …
Et puis des doutes, des réflexions ont ébranlé nos convictions depuis : comment procéder à la transition énergétique nécessaire pour répondre aux enjeux climatiques et à l’après-pétrole ? comment se passer de l’énergie nucléaire sans mettre en péril le modèle de notre civilisation fondée sur l’énergie bon marché et abondante (parce que changer de modèle de civilisation ne semble même plus être la question du jour, poser seulement la question déplace de tels postulats qu'une fatigue innommable s'empare de nous à cette idée) ?
A moins que, tout simplement, nous n'ayons été gagnés par l'immaturité qui s'installe, triomphale, comme seule valeur à la bourse de nos sociétés de kids.

Néanmoins, tout au fond de nous continue de résonner l’avertissement d’Ivan Illich : «nous avons plus à craindre les industriels du bien que les méchants »… et tous les incipit de SF que nous lisons sans lassitude aucune (après l’anéantissement nucléaire de l’Europe, de New York … après l’incident nucléaire majeur…)
Mais, crainte égoïste de manquer un jour d’énergie, absence de perspective quant à l’avenir, panne de créativité et d'imagination, débandade (temporaire) du désir de devenir, le ramollissement gagne rapidement par le biais du « moindre mal ».
Et Tchernobyl bien que loin dans le temps (une génération déjà) et dans l’histoire (la période soviétique), ne nous a pas rendu adultes. Non, Tchernobyl n'était pas un accident soviétique, oui, c'était bien un accident de l'industrie nucléaire.

Et voilà que deux événements nous ré-interrogent dans l’autre sens. Nous réveillent comme une gifle bienvenue.
D’une part, la publication d’un petit livre d’un philosophe de l’Ecole Polytechnique et de Stanford, que j’affectionne particulièrement pour sa rigueur implacable et son anti-conformisme singulier, Jean-Pierre Dupuy. Il revient d’un colloque à Kiev et rapporte un « Retour de Tchernobyl – Journal d’un homme en colère » (éditions du Seuil) particulièrement documenté, implacable. Et d’autre part, les mises en garde en vue et arrestations en France et en Biélorussie, ces derniers jours, d’intellectuels ou militants qui ont participé à des actions de sensibilisation contre les dangers du nucléaire (risques environnementaux, risques liés au vieillissement des centrales, risques liés au terrorisme, aux catastrophes naturelles et climatiques, risques pour la démocratie face à la propagation des centrales dans le monde …).

Le livre de Jean-Pierre Dupuy le souligne une fois encore : la technologie ne pense pas. Et surtout ne pense pas le mal. Elle pense d’autant moins qu’elle est engagée dans une concurrence politique et économique où seuls priment les résultats rapides, le rendement à court terme. Et même lorsqu’elle a pour objectif de donner ce qui est bien, elle ne peut imaginer de possibles conséquences monstrueuses à long terme, parce que l’imagination et le mal radical (Kant) ne sont pas rationnels même s’ils sont réels. Les experts et les scientifiques ont divorcé avec le réel au nom de leur liaison exclusive avec le rationnel.
L’expertise technocratique et scientifique n’a pas la qualité de pensée morale à la hauteur des nouveaux problèmes qu’elle génère dans nos sociétés. Se précipiter dans une concurrence acharnée interdit de poser (et encore plus de répondre à) ces questions majeures : « l’industrie nucléaire est-elle par nature un outil qui nous empêche de penser ce que nous faisons ? L’espoir de construire une démocratie technique donnant sa place au nucléaire est-il vain ? Comment penser maîtriser des dangers majeurs sur des milliers d’années ? »
Tant que la rationalité technique n’aura pas intégré la part d’irrationalité logique, la part de mal inhérente à toute production, à toute société, à toute condition humaine, on peut penser que l’humanité n’est pas prête, à moins d’assumer publiquement la possibilité de son auto-destruction, pour cette prolifération démesurée, à moins d’affirmer que le changement climatique ne nous donne à choisir qu’entre la possibilité d’une apocalypse ou d’une autre (mais il serait plus fécond de réfléchir véritablement à cette possibilité que de la taire par crainte d'une panique populaire).
Depuis les pères fondateurs (Oppenheimer, Einstein…) jusqu’aux scientifiques et technocrates d’aujourd’hui (Charpak, Dautray, Garwin), l’alarme a été lancée : on ignore tout de l’avenir des hommes et de nos sociétés.
Comment les garanties de sécurité de confinement des centrales et des stocks de déchets pourront-elles continuer à être assurées en temps de guerre, de bouleversements climatiques, de catastophes naturelles, d'attentats terroristes, de paniques extrêmes, de démantèlement des pouvoirs en place…qu’adviendra-t-il si les centres de radioactivités cessent d’être maîtrisés ?
Alors que l’industrie nucléaire accumule les rapports sociologiques pour comprendre la peur qu’elle inspire à la population, ne devrions-nous pas plutôt commander des analyses anthropologiques sur ceux qui la dirigent afin de comprendre pourquoi ils n’ont pas peur ce qu'ils savent pourtant ne pas maîtriser ?

A partir de ces considérations, Jean-Pierre Dupuy approfondit à nouveau ses concepts pour un « catastrophisme éclairé », il nous faudra revenir là bientôt. Et évoquer aussi cette contention de la panique qui régit nos sociétés (la panique est un thème profond qui renvoie à un changement complet de civilisation sous l’égide de Pan, le dieu de Zarathoustra, l'ami de Dyonisos, un thème qui renvoie à l’origine même de la civilisation occidentale, un de mes thèmes favoris…)

Mais pour l’instant, voici la fin de ce « Journal d’un homme en colère », l’un des plus beaux textes sur cette commémoration que l’on peut lire et un hommage aux liquidateurs, héros malgré eux de cette catastrophe sans apocalypse, héros sacrifiés sur l'autel de la science : « Les hommes, quant à eux, n’ont pas peur, ô ironie des choses. Les liquidateurs de Tchernobyl n’avaient pas peur : ils n’étaient pas informés du danger. Les habitants des zones contaminées n’ont pas ou n’ont plus peur : ils veulent vivre, c’est-à-dire oublier. Quant à nous, habitants des pays techniquement développés, on nous dit qu’un Tchernobyl est impossible chez nous, et nous le croyons. Bienheureux que nous sommes, car s’il s’en produisait un, je doute que l’on trouve en France huit cent mille volontaires prêts à sacrifier leur vie et leur santé pour éviter la catastrophe majeure ; ou des responsables suffisamment respectés pour obliger un nombre équivalent de leurs concitoyens à payer de leur vie la folie des autres. »

mardi, mai 16, 2006

Froid moi ? Plus jamais ...!

Alors que se tient aujourd’hui une réunion internationale de plus sur le changement climatique, à Bonn, où sont représentées 190 nations (CCNUCC) sous l’égide de l’ONU, alors que les scientifiques s’accordent tous pour prévoir désormais une augmentation spectaculaire de la température moyenne du globe dans les vingt prochaines années, alors que l’on assiste à une rapide extinction des espèces, alors que certains hommes politiques commencent à tirer la sonnette d’alarme allant jusqu’à dire que la menace climatique excède toutes les menaces jusqu’ici connues ("In my view, climate change is the most severe problem that we are facing today -- more serious even than the threat of terrorism." february 2004, David A. King, Chief Scientific Advisor to the British Government), alors que tous les signes sont là…, nous continuons à vivre comme si de rien n’était… seulement une sourde angoisse…un drôle de sentiment d’urgence à épuiser certaines choses avant que…pour certains d’entre nous quelques gestes militants alibis, et pour d’autres un volontarisme sans borne à balayer toutes les objections métaphysiques, téléologiques ou même parfois éthiques qui s’opposeraient au développement rapide des avancées scientifiques avec la sensation irritante que le temps nous rattrape...


Sur le site suivant les travaux les plus récents sur le changement climatique :
http://www.worldviewofglobalwarming.org/pages/warmingmap.html
et en français sur l’excellent site : http://www.manicore.com/
(Où on trouve même la critique argumentée du dernier bouquin SF de M. Crichton, Etat d’urgence. Bouquin controversé pour ses thèses sur l'innocuité et l'invalidité du changement climatique mais particulièrement décapant quant aux portraits des environnementalistes fanatiques et des ONG opportunistes.)



Enfin, la lecture de Bleue comme une Orange de Norman Spinrad, SF débridée, délirante et impertinente, s'impose pour ne pas laisser l’effroi se propager complètement et nous paralyser :

« Alison Larabee était la Grande Ancienne de la CONASC. La sainte patronne de ces conférences. Celle qui connaissait tout le monde. La créatrice du modèle climatique de la Condition Vénus, qui avait joué un rôle décisif dans l’apparition de la panique à l’origine des Conférences Annuelles sur la Stabilisation du Climat. Sans elle, pas de CONASC. Sans elle, ces gens ne seraient pas là. Tous ceux qui se trouvaient là, que ce soit par conviction Bleu Bon teint, en vue d’obtenir un crédit scientifique ou des gains commerciaux, ou simplement pour passer quelques jours à Paris aux frais de la princesse, devaient leur présence à Allison Larabee. (…) « Comme tous mes collègues ici présents le savent, dit-elle d’une douce voix de grand-mère, j’ai assisté à toutes ces conférences depuis qu’elles ont débuté… » Elle marqua une petite pause. Lorsqu’elle reprit la parole, ce fut d’une voix deux fois plus forte qui ruisselait d’acide. « A chacune de ces fichues clowneries ! » Elle s’interrompit à nouveau pour laisser l’assistance encaisser le choc. (…) « Néron jouait de la lyre pendant que Rome brûlait, l’orchestre du Titanic jouait de la musique d’ambiance pendant que le paquebot s’en allait par le fond…Vous autres, vous vous êtes abreuvés de foutaises et en avez abreuvé le monde entier pendant que la Terre se rapprochait de la condition Vénus ! Et mea culpa, j’ai été l’une d’entre vous ! » (…) « Il ne sert plus à rien de discutailler ! cria Larabee. Ca n’a jamais servi à rien, mais nous avons quand même perdu six ans en palabres ! Ou nous refroidissons cette planète dans les meilleurs délais, ou il n’y aura bientôt plus personne en vie pour s’engager dans une autre et tout aussi inutile fichue conférence ! C’est là ma contribution à ce symposium ! C’est tout ce que j’ai à dire parce que c’est tout ce qu’il y a à dire ! Mettez-vous d’accord cette fois-ci ou débrouillez-vous sans moi ! »

La suite est tout aussi déjantée mais tout aussi jubilatoire …

mardi, mai 09, 2006

(Théat)Râles ou Slam ?

Pilot le Hot
Le débat continue, des textes encore dans Le Monde (un nouvel article de Brigitte Salino), Libération (un texte de Handke qui souffle sur les braises), Le Nouvel Observateur, Le Figaro, dans le blog de Pierre Assouline… la liste des signataires de l'appel lancé par Olivier Py pour le soutien à M. Bozonnet... et aussi ici … à Belgrade.

Dans le quotidien Politika du samedi 6 mai et à la Une : « Le ministre français de la culture est opposé à l’annulation de la pièce de Peter Handke – Que le public juge". Le journal cite des extraits du courrier adressé par le Ministre Renaud Donnedieu de Vabres au Directeur de la Comédie française.
Le journal Kurir publie un commentaire que l’on me dit grinçant d’Isidora Bjelica, écrivain que je ne connais pas et paraît-il controversé, qui dénonce la censure contre Peter Handke à la Comédie Française.
Politika aujourd’hui publie un éditorial critiquant le fait qu’il n’y ait pas eu plus d’intellectuels européens mais seulement des serbes à réagir contre ce qu’il qualifie de censure. L’auteur indique que parmi ceux qui ont signé la pétition contre la démarche du directeur de la Comédie française figuraient Emir Kusturica et Mladen Materic.

Soudain, j’ouvre le Robert pour la définition de râle - car parfois le théâtre institutionnel m'inquiète et mon pronostic n'est pas très bon - (en médecine, râle bulleux ou humide : faisant un bruit comparable à celui de bulles qui crèvent) et je tombe sur un exemple tiré de … Céline ( !!!) : « Nous l’auscultons et on lui trouve toute une série de râles sur toute la hauteur du poumon droit ». Et pour faire bon poids, à la définition de râler, on trouve Sartre (qui se laissa emporter plus que de raison dans une Préface mémorable , suscitant jusque de nos jours une polémique aux conséquences autrement redoutables ou qui alla rendre une visite à Baader en 1974, visite toujours sujette à controverses) : « Il regrettait le temps où elle râlait en silence».

Jamais de hasard, serions-nous dans une simulation d’une Lady Macbeth neurobiologiste, ou dans un remake serbe de Matrix ???
Car… « le poumon, le poumon vous dis-je … » …ça ne vous dit rien … un certain malade imaginaire en sa maison, oui, mais qui ne va pas bien ici ?

Comme s’est exclamé Pilot le Hot sobrement, entre deux slams, à Cergy-Pontoise vendredi soir, lorsque je lui annoncé que je vivais désormais en Serbie : « waou, total délire… » ou quelque chose d’approchant mais de tout aussi prophétique et pertinent...

Mais le slam, les ET et les IA dans le 95, c’est encore une autre histoire, prometteuse et en devenir … j'en reparlerai.

DisTrans (cliquez ici ou sur le titre)

lundi, mai 08, 2006

La Comédie à la Française, le 30 avril, la Serbie, Les mains de Lady Macbeth et le public… ?

Marcel Bozonnet Peter Handke






















« Toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle » Lautréamont, Poésies.

Décidément, je ne pensais pas que mes posts sur la Comédie à la Française en Serbie deviendraient un feuilleton.
A peine, mis-je le pied dans le théâtre où j’ai le plaisir de travailler parfois, à peine reconnectai-je mon portable français, qu’arriva le déferlement : tu as vu, tu as entendu, tu as su, qu’est-ce qu’on en pense en Serbie, qu’est-ce que tu en dis ???
Bon, c’est pas vraiment simple cette histoire Bozonnet / Handke.
D’un côté, Peter Handke, dont j’apprécie les pièces de théâtre, dont j’adore les scénarios pour Wenders et en particulier celui d’un de mes films cultes, Les Ailes du désir.
Peter Handke, traducteur, donc imprégné profondément, de René Char, notamment.
De l’autre Marcel Bozonnet, un comédien de talent immensément cultivé (quel bonheur et quelle audace que son interprétation virtuose de La Princesse de Clèves !), un homme de théâtre intelligent, subtil et qui a entrepris un excellent travail de fond à la Comédie Française, ouvrant ses archives, éclairant les zones d’ombre de la période de l’Occupation notamment.
Comment pouvait-il alors méconnaître à ce point les positions de Handke sur l’histoire récente de la Serbie ? Celui-ci n’en a jamais fait mystère !
Comment pouvait-il ne pas connaître d’ Handke la personnalité complexe, difficile, sa part de lumière esthétique et sa part de ténèbres politiques ?
Pourquoi n’a-t-il pas su distinguer l’homme de l’artiste ? Et comment pouvait-il ignorer que sur la question serbe, l’artiste est beaucoup plus clairvoyant, lucide et mesuré que l’homme qui se laisse emporter passionnément, aveuglément ?
Par hasard, je viens d’achever le livre de Handke écrit en 1996, Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina. Et en le lisant, je me disais justement qu’Handke parlait bien de la Serbie des Serbes, en évitant justement de parler de la Serbie de Milosevic. Mais j’ignorais, avant mon passage en France, sa présence aux obsèques de Milosevic, car sincèrement, ici, la présence d’Handke est passée complètement inaperçue.
Et dans ce livre, il n’y a pas un mot de trop, pas un mot négationniste ou révisionniste, pas un mot offensant pour les victimes, mais avant tout une violente critique des médias (à la façon d’un Noam Chomsky) et en germe une réflexion qui permettrait de reconstruire un avenir commun.
« Et je pensais face à la Drina et je pense ici à ma table : ma génération n’a-t-elle pas omis d’être adulte en présence de ces guerres en Yougoslavie ? Adulte non pas comme cette génération des pères et des oncles satisfaits d’eux-mêmes, toujours prêts, divisés en caste, aux opinions forgées un fois pour toutes, qui ont parcouru le monde et ont pourtant l’esprit si petit, mais adulte comment donc ? » Peter Handke, Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Driva, 1996.

Ensuite il y a ce qu’a pu dire, ici et là, l’homme Handke dans la presse. Et en effet, trop de ses mots sont insupportables, mais il ne s’agit plus alors de l’artiste et de son œuvre, plus du tout. !

De ce gâchis, l’administrateur de la Comédie Française est tout de même le détonateur, me semble-t-il, pour n’avoir pas su prendre en amont la décision qui s’imposait à lui. Programmer des auteurs vivants est une responsabilité et un choix qui peut révéler des conséquences inattendues, c’est un véritable travail de reconnaissance réciproque, et il faut l’assumer. Rien ni personne n’obligeait Bozonnet à programmer Handke. Le déprogrammer, c’est une autre histoire.
Je le répète, rien n'oblige à programmer quiconque. Mais, à moins de reconnaître que l’on a programmé à la légère, sans connaître les tenants et aboutissants, en dilettante, et avec désinvolture, un jour de gueule de bois ou de chagrin d’amour, un soir d’ivresse ou de dépression, la déprogrammation, surtout dans une telle institution, constitue un acte de condamnation gravissime. Il est normal qu’Handke et Bruno Bayen, son metteur en scène, crient au scandale. Car les conditions d’un scandale intellectuel sont bel et bien réunies, et les parties en présence en sont toutes responsables.

Ceci dit au regard de la situation actuelle en Serbie, tout ceci ne tient pas trop la route. Car de la situation actuelle en Serbie, justement, je n’entends point parler du tout sérieusement.

Bref, notre profession, une fois encore, s’agite furieusement, de pétitions en articles pour et contre, alignant les signatures des plus prestigieux. Ainsi Elfriede Jelinek, Luc Bondy, Emir Kusturica et de nombreux autres … signent un long texte pour le maintien de la pièce, tandis qu’Olivier Py en signe un autre en soutien à la suppression. Bruno Bayen, le metteur en scène de la pièce déprogrammée, va jusqu’à évoquer ce 30 avril en résonance avec le 30 avril de la Nuit de Walpurgis ou de la mort d’Antoine Vitez… !

Une attitude plus mesurée aurait peut-être consisté à jouer Handke tout de même et à provoquer des débats soit à l’issue des représentations, soit en marge durant les relâches. Ce que nous faisons continuellement dans nos théâtres de banlieue lorsque nous proposons des textes denses ou des auteurs ténébreux. Mais une fois encore le public sera dehors alors qu’il eut mieux valu l’associer et le laisser évaluer, jauger, aimer, détester.

Ceci dit, je peux aussi comprendre la position de Bozonnet. Car il m'est impossible de lire Céline par exemple comme un auteur quelconque voire même d’autres (c’est pour cela que je refuse désormais de lire des biographies détaillées de mes auteurs favoris, cela m’a gâché Proust par exemple). Mais je défendrai quoiqu’il en coûte leur présence dans l’espace public.
Hannah Arendt, puis Hans Jonas, ont finalement rendu visite à Martin Heidegger, et il nous faut bien admettre les apports de Heidegger à la philosophie occidentale du XXème siècle, il nous faut bien parfois plonger dans Heidegger.
Tout en sachant que comme les mains de Lady Macbeth, son œuvre , comme celle de Céline, comme celle d’Handke resteront à jamais entachées.
Les lecteurs et le public feront leur œuvre et leur preuve en appréciant ces textes à leur juste mesure. Présenter la lumière ne sert à rien si l’on oublie ou si l’on occulte les ténèbres, faire confiance au public, quand même …
(et sans morale aucune, un satisfecit à Bozonnet et Handke pour avoir réveillé les passions théât-râles....!)