lundi, janvier 21, 2008

Nikolic et Tadic, deux Serbies

Quelques réflexions à chaud.

Les résultats de la présidentielle en Serbie soulignent d'abord le regain d'intérêt de la population pour la politique puisque la participation bat tous les records pour la Serbie, plus de 63%.
Mais ce regain profite aux forces réactionnaires pour plusieurs raisons.

Même si la victoire de Nikolic au premier tour n'implique pas son triomphe automatiquement au 2nd tour (encore que Tadic ne dispose pas de réserve de voix très importante et il faudrait qu'aucune voix ne lui manque, pas une seule, pour l'emporter le 3 février...), ce résultat de 1er tour doit alerter l'Europe.

Les électeurs serbes ont réagi à la mesure de l'humiliation que leur inflige l'Europe depuis la fin de la guerre, et notamment en matière de politique restrictive de délivrance des visas qui est vécue depuis plusieurs années comme une vexation intolérable et injuste. Ce point focalise tous les ressentiments anti-européens.
Les jeunes qui n'ont pas connu l'ère Milosevic et ne l'ont pas soutenu, ceux plus âgés qui ont participé aux manifestations de rue de l'annnée 2000 et qui ont obtenu sa déchéance, ceux encore plus âgés qui voyageaient dans toute l'Europe avec leur passeport yougoslave, ne comprennent pas cette stigmatisation de la Serbie et cette clôture des frontières. Les serbes se sentent profondèment européens, ils sont fiers de leur appartenance à l'Europe historique, ils se battus pour cette Europe durant les deux guerres mondiales, ils ont payé un lourd tribu dans la longue histoire de la construction européenne. Ils se sentent d'autant plus humiliés de ce refus des visas.

De même, l'imprévoyance du TPI dans la mort inattendue de Milosevic a privé la Serbie d'un procès historique - ô combien nécessaire à l'expulsion d'un refoulé de guerre et à un travail de mémoire qui de ce fait a été reporté aux calendes grecques- et qui est largement responsable de la situation actuelle où l'Europe n'est plus perçue comme une alliée.

La situation économique et l'inflation ne poussent pas non plus vers cette Europe des réglementations, des contraintes sanitaires, des logiques de préventions de risques perçus comme coûteuses (obligation de contracter des assurances, de se soumettre à des procédures qui nécessitent des investissements impossibles à réaliser pour les petits entrepreneurs par exemple) et franchement inutiles dans un pays où on fume comme on respire, où on boit du café et de la rakija comme de l'eau minérale. Au contraire, l'Europe agit ici comme un repoussoir, même au sein des classes les plus cultivées, les plus pro-européennes.

Le soutien trop affiché des dirigeants européens à Tadic a été aussi ressenti comme une ingérence insupportable. Beaucoup se demandait comment réagiraient les autres pays européens si les serbes soutenaient aussi ouvertement un candidat plutôt qu'un autre.

Bref, en tous points, l'Europe ne comprend pas la Serbie, et avec ses gros sabots, risque de pousser le pays dans les bras d'un nationalisme archaïque.

La question du Kosovo est autre. Même les électeurs de Nikolic savent que le Kosovo deviendra indépendant. Nikolic ne déclenchera pas une cinquième guerre serbe. Personne ne veut revivre cela ici. Absolument personne. Ceux qui disent le contraire sont des agités du bocal qui ne représentent que leurs fantasmes. Mais la question du Kosovo s'inscrit dans un imaginaire patriotique et religieux exalté. Les serbes veulent avoir le sentiment de ne pas céder à la pression extérieure, de décider souverainement, et surtout veulent donner ce sentiment aux autres pays ex-yougoslaves, notamment la Bosnie (qui pose d'autres problèmes encore).
Là encore, l'insistance européenne sur ce sujet pendant ces élections (Sarkozy et Kouchner criant sur tous les toits que l'indépendance du Kosovo est un préalable à toute candidature de la Serbie dans l'UE par exemple) a été franchement nuisible.

Je crois que tout a été fait maladroitement par l'Europe pour ce que résultat se produise.

Nikolic et Tadic révèlent les deux faces d'une Serbie aujourd'hui profondément clivée.

Ceci est une analyse personnelle, et nous attendons avec impatience le 2nd tour de l'élection présidentielle.