dimanche, avril 02, 2006

La Comédie à la française depuis Belgrade … 4 juin 1666, 7 avril 1848, 24 mars 1940, 27 novembre 1943, mars/avril 2006














« L’ordre est le plaisir de la raison, mais le désordre est le délice de l’imagination »
Paul Claudel, Le Soulier de satin

En France, la contestation continue à faire rage. Même les théâtres s’en mêlent sur fond de reprise de la protestation des intermittents du spectacle. Celle-ci se remet à bouillir, non seulement en raison de la non prise en compte des propositions faites pas la coordination, mais aussi suite aux propos virulents du Ministre de l’intérieur contre l’œuvre de la décentralisation culturelle de ces cinquante dernières années. Toucher ainsi aux mânes de Jean Vilar, d’André Malraux, de Michel Guy et de tant d’autres ne pouvait que remobiliser une partie de la profession et solidariser avec les intermittents tous ceux, qui jusqu’ici restaient à la lisière de ce mouvement …

Ainsi donc la Comédie Française a annulé Le Cid à l’initiative des pensionnaires (chose assez peu fréquente), l'Opéra Bastille a annulé la première mondiale d' Adriana Mater, de la finlandaise Kaija Saariaho. Pas de représentations au théâtre du Rond-Point, ni au Théâtre National de Chaillot, occupé jeudi 30 mars par de nombreux professionnels. Le mouvement a été aussi très suivi en région (Théâtre National de Strasbourg, Théâtre de la Manufacture, Centre Dramatique National de Nancy, Scène Nationale du Volcan au Havre...). Bref, des dizaines de spectacles de danse, de cirque, de théâtre ont été annulés partout en France.

Appartenant depuis près de vingt ans à cette profession du spectacle, j’ai toujours été partagée quant à la forme que devait prendre une protestation, un mouvement de revendication ou un conflit. Peu convaincue par la grève, je dois le dire, car elle ne touche finalement que ceux qui nous aiment, nous soutiennent et viennent nous applaudir dans nos salles. Lors des derniers Festivals d’Avignon, certains formes de contestation me parurent plus pertinentes : jouer gratuitement (pour les compagnies subventionnées et les institutions qui le peuvent), jouer hors les murs, imaginer des théâtre-forum qui impliquent les publics et permettent des discussions citoyennes, choisir des textes fortement engagés, demander à des stars de jouer avec des intermittents, déprogrammer de manière surprise certains spectacles trop « attendus » et les remplacer par d’autres plus improvisés dans l’actualité du moment … Bref, préférer le symbolique, la liberté du jeu et la puissance de la parole de l’acteur, demeurer dans l’espace hautement politique (au sens antique) de nos scènes, retrouver un certain esprit du Groupe Octobre. Tout cela fut abondamment débattu lors de ce Festival d’Avignon 2003 annulé pour la première fois depuis sa création.

Je discutais de tout ceci avec une amie (vive les nouvelles technologies !) historienne et auteur d’un ouvrage primé par la critique : La Comédie Française sous l’Occupation (je recommande vivement son livre, en cours de réécriture pour une réédition à l’automne : Marie-Agnès Joubert, La Comédie Française sous l’Occupation, éditions Tallandier).

A cette pionnière dans le défrichage de cette période sombre pour les arts du spectacle, Julien Bertheau, l'un des pensionnaires les plus proches de la Résistance, confiait l'esprit de rébellion tacite qui animait une partie de la troupe: «Le théâtre était le lieu où se parlait notre langue, où survivait l'esprit français, où l'on pouvait retrouver cet esprit collectif qui fait qu'un peuple est lui-même.» Et in fine, la Comédie Française avait su se montrer digne, malgré les nombreux écueils et pièges qu’elle avait eu à éviter. La création du Soulier de satin de Claudel, mis en scène par Jean-Louis Barrault durant l’hiver 1943, à l’affiche six mois durant, vola soir après soir de triomphe en triomphe, jusqu’à la veille du débarquement, ne donnant aucun motif de satisfaction à l’occupant, fut largement (et tout à son honneur) vilipendée par la presse de collaboration.

Bref, tout ceci me revenait en mémoire et me laissait encore et toujours perplexe quant à la portée de la grève dans notre profession, quand Marie-Agnès m’envoya un superbe email concernant une tournée de la Comédie Française à Belgrade en 1941, le voici ci-après.

« Le 9 mars 1940, la Comédie-Française entame une tournée d’un mois dans les Balkans et au Moyen-Orient. Après Zagreb, Budapest, Bucarest, Athènes et Skopje, elle fait étape le 24 mars à Belgrade, où sont représentées Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset, et Le Misanthrope de Molière. De retour à Paris, le tragédien Jean Yonnel évoque avec émotion l’accueil réservé à la Troupe : « (…) Les cris d’enthousiasme, les applaudissements, écrit-il, ne s’arrêtèrent que parce que nous fûmes obligés d’y mettre fin en ne faisant plus lever le rideau. (..) Nous avons vécu en cette ville des moments exceptionnels : le déjeuner qui nous fut offert par M. le maire de Belgrade, figure impressionnante par la force et la loyauté qui rayonnent et qui s’expriment dans un discours terminé par un « Vive la France ! » répété comme d’une seule voix par les nombreux convives yougoslaves ; les battements de notre cœur lorsque M. le maire nous dit très simplement qu’aussitôt la guerre commencée, les paysans, les montagnards, affluèrent aux mairies des villes et des villages disant : « Nous voici » – « Pourquoi faire ? – « Eh bien, la France est en guerre, nous venons nous battre pour elle ». » (L’Ordre, 22 avril 1940). La comédienne Germaine Rouer témoigne avec tout autant d’enthousiasme dans les colonnes du journal Le Petit Parisien du 16 avril 1940 : « À Belgrade, ce fut merveilleux : le maire de la ville nous offrit à déjeuner dans un grand hôtel de la ville, au milieu d’un site enchanteur. Puis nous sommes allés fleurir la tombe du Soldat inconnu au milieu d’une foule nombreuse et recueillie. »

Depuis Belgrade donc, je ne peux m’empêcher de suivre assidûment la comédie à la française qui se joue dans les rues et dans toutes les éditoriaux de la presse européenne. En ce moment, cela m’empêche un peu de poursuivre mes explorations de l’histoire et de l’actualité théâtrales serbes.
L’amour des arts du spectacle ici me revigore constamment, la qualité des créations et l’enthousiasme des publics m’ont réchauffé tout l’hiver…mais ceci sera pour un autre post…
Terminons sur Le Misanthrope, bien adapté à nos deux chers pays, et assez peu écouté : « La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. »

Mais décidément quand je disais que les Balkans m’imprégnaient de la coulée de l’histoire, alors que je n’aime rien tant que les futurs, la science-fiction… je me rends compte que je ne lis plus le présent qu’à la lumière du passé…influence balkanique nouvelle et profonde.
Donc les dates : 4 juin 1666 (création du Misanthrope), 7 avril 1848 (création d’Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée), 24 mars 1940 (La Comédie Française joue Le Misanthrope et Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée à Belgrade), 27 novembre 1943 (création du Soulier de Satin), mars/avril 2006 : c’est maintenant que se joue l’avenir !!!


DisTrans (cliquez ici ou sur le titre)

1 Commentaires:

At 15/4/06 21:11, Anonymous Anonyme a dit...

A propos de la Comédie-Française, je vous conseille le livre de Denis Podalydès (sociétaire de la Maison), "Scènes de la vie d'acteur", paru en janvier.

 

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