mardi, mars 28, 2006

Miroir, mon beau miroir, dis-moi...




Ce 28 mars, je me suis téléportée en France…
Paris, Bordeaux, Marseille, Rennes, Lille ... bien sûr, mais aussi Avignon, Carcassonne, Laval, Mulhouse, Valence et même Digne ...


Et malgré moi, malgré ma tendresse et ma sympathie pour ce moment exceptionnel, j’ai eu l’impression d’un moment de luxe inouï, d’une gâterie folle, d’un grand bonheur citoyen terriblement français… presque provocateur.
Mais après tout... ??


L’identité française s’adore à ce miroir et cela en devient parfois incompréhensible d’aimer à ce point la liberté et la démocratie et de ressentir une telle peur de l'Autre et de l'étranger. Bien sûr, la jeunesse ne peut accepter ce déni d'avenir mais on aimerait aussi une ouverture pour d'autres solidarités, un mouvement vers d'autres horizons.

A Belgrade, hier soir, en écho, se jouait Le Bourgeois Gentilhomme, version Chambord.
Un concentré de l'esprit français : auto-dérision des pouvoirs et des savoirs, esthétique de la subversion, avènement de l'esprit bourgeois trendy et kitsch...
Et aussi, la joie de l'innovation au sein des règles précises et complexes du code musical, gestuel et spirituel baroque, de l'invention sans retenue, le plaisir pur du badinage et du libertinage dans un monde sans Dieu, et que l'on rêve presque sans Maître hormis ceux qui guident vers le beau, le superflu, la gratuité.
De loin, on se sent terriblement heureux de se reconnaître, de se mirer, de se plaire dans cette identité.


Pendant que j'assistais à ce spectacle, ce texte de Sloterdijk m'est revenu en mémoire, commentaire assez adéquat de ce que je ressens en cette journée en voyant ces photos étonnantes depuis la Serbie.















« Depuis très longtemps, dans la tradition du radicalisme esthétique français, c’est précisément la sûreté avec laquelle les caractères les plus intégrés, les plus branchés, les plus représentatifs, donc les plus bourgeois, ont assumé la position du Bürgerfresser, du bouffeur de bourgeois. Le bourgeois qui bouffe du bourgeois est un élément de civilisation française qui m’a toujours beaucoup impressionné, même à une époque où j’étais incapable de me rendre compte, d’où venait cette fascination. Le radicalisme français, c’est l’incarnation la plus parfaite de la différence, commentée par Marx, entre le citoyen et le bourgeois. Le bourgeois, avec Bonaparte, croit que la révolution est finie, tandis que le citoyen vit toujours en l’attente de la véritable révolution. Le sujet français peut absorber toute la dimension subversive du monde sans être une simple marionnette radicale. Il est source de radicalité devenue homme. La radicalité éternelle fait figure de bon Français. Il est la révolution permanente à la première personne. » Peter Sloterdijk, Les Battements du monde, 2003