mercredi, avril 19, 2006

Arches




Puisque nous sommes dans Pâques, puisque les inondations deviennent déluges, puisque j’ai entamé une excellente série de SF de Peter Hamilton (Rupture dans le réel 3 volumes: genèse, émergence et expansion), comment ne pas penser aux arches ?

Dans la série d’Hamilton, la vie sur Terre n’est plus possible que dans quelques arches protectrices car les changements climatiques et les pollutions de toutes natures ont irrémédiablement endommagé les écosystèmes. Pour survivre convenablement et continuer à croître, la population se déplace sur des planètes disséminées dans de nombreuses galaxies et terraformées pour les rendre habitables. Certains terriens ont effectué les transformations nécessaires (implants biotechnologiques, modifications génétiques, transplantations technos etc…) pour muter et inventer des conditions d’existence totalement différentes, en symbiose absolue avec leurs habitats/vaisseaux organiques. Ils se nomment les édénistes, ils ne refusent pas de vivre en bons termes avec les exos (sortes d’extraterrestres). Les autres ont refusé la mutation par conviction, ils se nomment les adamistes. Ils vivent en bonne entente commerciale. Jusqu’à ce que l’obscurantisme se répande encore une fois.

J’ai parfois l’impression que la SF nous parle d’aujourd’hui. Qu’elle est même déjà anachronique.
Alors que les inondations dévastent des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles, que des milliers de personnes se retrouvent sans maison, sans travail, sans moyen de subsistance, qu’un nombre incalculable d’animaux a péri, personne dans mon entourage privilégié n’évoque ce chaos. Personne ne le ressent … pour l’instant. Personne n’éprouve d’inquiétude, ni même d’angoisse pour ses enfants. Ou alors inconsciemment peut-être, sans vouloir l’avouer … peut-être ?
Vivre hors sol, depuis que j’ai quitté ma banlieue, je crois ressentir au quotidien le sens de cette expression.
Le danger de ceux qui vivent hors sol, c’est le court terme. Un danger terrible pour la mémoire, pour les projets, pour le devenir au-delà de soi.
Le même danger qui menace toutes les politiques d’aujourd’hui. Qui semblent terriblement dépassées, d’un autre âge.
Alors qu’il faudrait de toute urgence construire une politique des arches, des ponts, des vaisseaux et influer de toutes les manières envisageables pour qu’advienne la concrétisation de cette politique.
J'ai souvent le sentiment que nous appartenons aux derniers représentants d’une civilisation en voie de disparition. Ce n’est pas triste du tout, à condition d’avoir conscience de la richesse de cette civilisation qui est la nôtre, richesse culturelle et technologique. Car sans cette conscience, nous n’aurons ni le désir, ni la volonté de construire les arches nécessaires pour le passage de témoins, sans cette conscience, pas de Noé pour transmettre la mémoire et l’héritage, sans cette conscience pas de devenir un tant soit peu humain. Et il serait dommage de renoncer aux vaisseaux spatiaux et aux humanoïdes, non ?
Nous ne pouvons tirer un trait sur ce qui compose la richesse de l’occident simplement parce que nous ne voulons pas réfléchir aux termes du partage, parce que nous ne voulons pas penser aux légataires et aux questions testamentaires.























« Le processus industriel développé à grande échelle détruit davantage de « réserves » naturelles et humaines qu’il ne peut en produire ou en régénérer. Dans cette mesure, il est aussi autogénérateur qu’un cancer, aussi créateur qu’un feu d’artifice, aussi productif que la culture de la drogue. Ce qui a été célébré pendant plus de deux siècles, et presque sans fausse note, comme exemple de la productivité humaine, révèle maintenant de plus en plus ce qu’il peut avoir de destructeur et d’avide. (…) De ce fait, l’hyperpolitique –quoi qu’elle puisse être d’autre aussi- est la première politique pour les derniers hommes. En organisant la communauté des derniers, elle est forcée de tenir un pari dont les exigences sont sans précédent ; elle est confrontée au devoir de faire de la masse des derniers une société d’individus qui prennent sur eux de devenir des intermédiaires entre ascendance et descendance. La société hyperpolitique est une communauté qui, dans l’avenir, devra aussi miser sur une amélioration du monde ; ce qu’elle doit apprendre, c’est le moyen de faire des profits qui permettent qu’il y ait encore des gagnants après elle. Cela suppose que l’hyperpolitique prenne la relève de la paléopolitique, mais avec d’autres moyens. (…) Son sujet serait la façon qu’a l’homme de donner la préférence à l’homme (…). »
Peter Sloterdijk, Dans le même bateau, essai sur l’hyperpolitique, 1997 pour la traduction française