jeudi, mars 09, 2006

3 films américains et un philosophe français






Trois superbes films, nerveux, politiques, étincelants d'intelligence et de pertinence. La même façon de filmer haletante, vibrante, pour des sujets controversés, difficiles et urgents. Trois films qui nous font aimer l'Amérique, comme jamais. Parce que ces films là, on ne les trouve plus en Europe, et surtout pas dans le nombriliste cinéma français de ces dernières années. Seuls les documentaires s'en emparent encore mais dans des festivals de spécialistes, sans aucune chance de toucher un large public (et surtout sans le glamour irrésistible de Clooney, Fiennes, Damon, Kassovitz...). The Constant Gardener, Munich, Syriana sont exemplaires d'un cinéma populaire exigeant.

Une question leitmotiv pour les trois films et qui nous hante longtemps après la séance : comment défendre encore les valeurs démocratiques de l'Occident lorsque celui-ci les bafoue si ouvertement ?

Deux autres questions encore, posées avec acuité, celles-là même qui nous obsèdent et obsèdent toute la philosophie politique de ces cinq dernières années et notamment celle de Derrida à la fin de sa vie (lui qui justement ne put philosopher librement qu'en Amérique, la France lui refusant toute chaire et toute reconnaissance universitaire) .
La première : "Qui est le plus terroriste ?" et la deuxième : "Ne peut-on terroriser sans tuer ? Et puis tuer, est-ce nécessairement "faire mourir" ? N'est-ce pas aussi "laisser mourir" ? Est-ce que "laisser mourir" (des centaines de millions d'êtres humains, de faim, du sida, de non-médicalisation, etc.) ne peut pas faire partie d'une stratégie terroriste "plus ou moins" consciente et délibérée ?".
citations extraites de : Jacques Derrida, Jurgen Habermas, Le Concept du 11 septembre, Dialogues à New york, éditions Galilée, 2004 pour la traduction française.
Et si ces questions ne méritent en aucun cas des réponses rapides, simplistes, et abusives, elles ne méritent non plus en aucun cas d'être ignorées.
Ces trois films les prennent à leur compte admirablement, dans toute leur complexité,pour amorcer un début de compréhension et d'analyse, qui ne soit pas, surtout pas, jamais, une justification.

Grandiose cinéma américain qui porte sur les écrans du monde entier le questionnement de l'un des philosophes contemporains considéré, à tort, comme le plus hermétique et le plus difficile qui soit.


By the way, le Centre Culturel Français de Belgrade consacrera une table ronde à Derrida au début du mois de juin.

Sinon, décidément, le 8 mars aura une influence plus longue que prévue sur ce blog, puisque nous parlerons encore des femmes à propos de ces films. Ceci n'est pourtant absolument pas un blog féministe !!! Mais il est frappant de noter, dans chacun des trois, l'absence de figures féminines matures, capables de prendre leur destin en main, de dessiner leur propre devenir. On trouve une vestale de l'utopie déjà vieillie et passée de l'autre côté du temps (Golda Meir), des mères enfermées dans cette vocation univoque et dont on ne saura pas grand chose sinon que leur passé broyé ne leur permet aucun futur heureux, des épouses compréhensives mais muettes, des mères dont on menace de tuer les enfants ou dont on les tue sous leurs yeux, une expatriée rebelle pas assez mature pour sortir vivante de sa révolte, une femme de pouvoir masculine à l'extrême, des femmes exploitées, bernées, terrorisées, paupérisées, tourmentées, assassinées... . Le monde occidental ainsi décrit, et ainsi décrié, est un monde d'hommes conçus par eux et pour eux, sans aucune place pour notre bonheur.

Autre point commun, et si intéressant, le conflit des générations actuel : ce monde occidental, ainsi présenté et filmé, corrompu et déliquescent, violent et immoral est celui d'une génération d'hommes qui ne veut pas laisser les commandes, même pas à d'autres hommes, du moment qu'ils n'ont pas franchi la barre des soixantenaires...

Tout cela donne furieusement envie de relire de la philosophie politique, non ?

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1 Commentaires:

At 10/3/06 11:21, Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour Enée M et bravo pour tes premiers pas sur la blogosphère. Tu t'en sors à merveille ! C'est un plaisir de te lire. J'essayerai de faire aussi bien lorsque je serai à Kyoto... Ce petit mot d'encouragement depuis Pauillac où je suis la formation d'Eurodoc pour un nouveau projet.
Des trois films dont tu parles, je n'ai vu que Syriana. D'accord avec toi sur les conclusions que tu en tires, mais concernant Syriana, je trouve le film narrativement faible et paresseux, même s'il n'hésite pas à se coltiner les faits, la matière première documentaire de son sujet. Tout ça reste un peu trop didactique, laborieux et parfois confus... Mais la comparaison avec le cinéma français n'est pas à l'avantage de ce dernier, je te l'accorde.... J'ai vu le film de Chabrol,paresseux lui aussi,en partie sauvé par le talent d'Huppert et de Berléand mais qui a un défaut supplémentaire par rapport à Syriana : celui de de ne pas vouloir traiter de la dimension politique de son sujet pour se complaire dans une exploration psychologique qui atteint vite ses limites. On tombe dans un petit jeu exaspérant : essayer de retrouver sous le masque de la fiction les protagonistes réels de cette histoire... Le romanesque vient ici brouiller les faits et les enjeux politiques alors qu'il devrait au contraire les mettre en valeur.
Français, encore un effort !

Et toi aussi, bon courage pour la suite de ce blog.

François

 

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