mardi, décembre 11, 2007

Kosovo, Serbie, après le 10 décembre, toujours l'incertitude

Je n'aime pas parler du Kosovo. Avec des amis serbes, cela touche à des sentiments bien au-delà du politique. Une amie est partie de Pristina il y a dix ans, avec toute la déchirure d'un ratage, d'un exil et toute l'amertume d'avoir été le pion d'une tragique manipulation politique. Une autre a vécu sa jeunesse à la frontière, a subi les bombardements, a accueilli les réfugiés, a entendu toutes les histoires inimaginables, vraies et fausses, issues des deux camps, est partie comme traductrice auprès de l'équipe Kouchner. Auparavant, elles avaient toutes deux dû recoudre les lambeaux d'une famille serbo-croate pour l'une, bosno-serbe pour l'autre. Ce sont deux histoires extrêmement banales. Et elles aiment le Kosovo. Irrationnellement.

Je n'aime pas parler du Kosovo. Je n'aime pas parler de la tragédie à ses protagonistes encore meurtris par tant de sang versé. Je ne peux pas en parler alors que je viens d'un univers désormais uniquement préoccupé de sécurité, de précaution et d'assurance tout risque. Alors que je ne suis que de passage.
Et puis, la situation ne m'apparaît qu' enfouie sous des monceaux de propagande européenne, serbe, onusienne, albanaise et religieuse .... Ensuite, le kosovo a une telle dimension mythique, il nourrit l'art, la littérature, le théâtre, la religion... en parler à la légère, sans le poids de cette transmission culturelle, je n'arrive pas à me le permettre.

Depuis deux semaines environ, des artistes et des intellectuels belgradois, dont Emir Kusturica, s'affichent en 4X3 dans les principales rues de Belgrade pour déclarer "Kosovo je serbia".
Et le gouvernement serbe a lancé aussi une campagne d'affichage officielle très surprenante. Les affiches, posées dans toute la ville, reprennent des citations célèbres, légèrement modifiées. "Le moment est venu de montrer que nous sommes des hommes libres ou des esclaves", clame en serbe et en cyrillique, George Washington, élégant et sévère à la fois. "Nous défendrons ce qui est nôtre, nous ne nous rendrons jamais" tonne un Winston Churchill, qui pose de manière surréaliste à côté du drapeau... britannique ! Abraham Lincoln, Charles de Gaulle, Willy Brandt et John F. Kennedy font aussi partie du casting ! C'est totalement décalé comme campagne d'affichage ! Serbissime.

Sinon, sur RFI, on a pu entendre l'un des très bons spécialistes de la région, le journaliste Jean Arnault Derens. Je reproduis ci-dessous sa chronique.


Ce lundi, la troïka diplomatique doit remettre son rapport au secrétaire général des Nations unies. Ce texte entérinera l’échec des négociations entre Serbes et Albanais. Que se passera-t-il ensuite ? Si l'hypothèse d'une déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo semble s'éloigner, les dirigeants kosovars ont néanmoins annoncé lundi matin qu'ils engageaient « avec leurs partenaires internationaux » des consultations de coordination en vue d'une proclamation d'indépendance.

Les efforts de la troïka diplomatique (Etats-Unis, Russie, Union européenne) auront été vains. Le dernier round de négociations entre Belgrade et Pristina, entamé cet été, s’achève par un constat d’échec. Aucun compromis n’est envisageable entre la position des Albanais, qui ne veulent entendre parler que d’indépendance, et celle de la Serbie, prête à concéder les formes les plus avancées d’autonomie, mais en excluant toute indépendance formelle.

Le Kosovo et l’ensemble des Balkans entrent donc à nouveau dans une phase d’incertitude et de turbulences. Les Albanais envisagent de proclamer rapidement leur indépendance, mais les dirigeants de Pristina ont néanmoins répété qu’ils ne feraient rien « sans concertation avec la communauté internationale ». Une autre échéance importante figure déjà sur les agendas diplomatiques : la réunion du Conseil de sécurité, convoquée le 19 décembre. Il est cependant peu probable qu’une solution miracle apparaisse à cette occasion, d’autant plus que la Russie, hostile à toute forme d’indépendance du Kosovo, dispose d’un grand pouvoir de blocage, du fait de son droit de veto. En théorie, la résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée le 11 juin 1999, devrait donc rester en vigueur : celle-ci reconnaît explicitement la souveraineté de la Serbie sur le Kosovo. C’est également en fonction de cette résolution que sont déployées les troupes de l’Otan au Kosovo.

Une proclamation unilatérale rapide de l’indépendance pourrait donc aboutir à une situation kafkaïenne. Elle serait considérée comme nulle et non avenue par Belgrade, mais aussi par les Serbes du Kosovo. Elle placerait les troupes de l’Otan et la mission civile des Nations unies dans une position aberrante, puisque celles-ci se référeraient toujours à une résolution n’ayant plus aucun rapport avec la situation sur le terrain.
Eviter tout recours à la violence

Les Européens multiplient les pressions pour convaincre les Albanais de surseoir à toute déclaration d’indépendance trop précipitée, et notamment de ne rien entreprendre avant les élections présidentielles serbes, qui devraient avoir lieu à la fin janvier : pour l’Union européenne, il s’agit de ne pas compromettre les chances de réélection du président Boris Tadic, issu du camp démocrate. Une détérioration de la situation au Kosovo pourrait en effet favoriser électoralement l’extrême-droite serbe.

De surcroît, les Européens ont le plus grand mal à cacher leurs profondes divisions sur le sujet. Alors que certains pays sont, tout comme les Etats-Unis, favorables à une reconnaissance rapide de l’indépendance – il s’agit essentiellement de la France et de la Grande-Bretagne – d’autres sont résolument hostiles à cette perspectives : l’Espagne, la Slovaquie, la Roumanie, la Grèce et Chypre. D’autres pays prônent enfin une attitude prudente et réservée, comme l’Allemagne et l’Italie. La Slovénie, qui doit prendre la présidence de l’UE le 1er janvier prochain, souligne qu’une bonne solution devrait associer la Serbie, sans lui être imposée…
L’UE craint enfin les risques régionaux que pourrait avoir un geste unilatéral de Pristina. Les Serbes de la Republika Srpska de Bosnie considèreront en effet ce qui se passera au Kosovo comme un précédent, et pourraient, eux aussi, proclamer la sécession de leur « entité ». D’ailleurs, le Parlement de la Republika Srpska est convoqué en séance exceptionnelle dès mardi.
Les dirigeants albanais devraient être sensibles à ces pressions européennes. Cependant, ils doivent aussi tenir compte de l’impatience de la population, qui est avant tout désireuse qu’un terme soit enfin trouvé à l’interminable attente du « statut final ». Des éléments radicaux sont également actifs, et pourraient provoquer des troubles en cas de nouveaux reports.
La situation dans le nord, serbe, du Kosovo ne manque pas non plus d’inquiéter, et l’armée de Serbie, placée en état d’alerte, a déclaré qu’elle est prête à faire face « à toute situation ». Un seul point peut rassurer : la troïka a confirmé que les deux parties s’étaient formellement engagées à éviter tout recours à la violence. Une promesse qui sera peut-être difficile à tenir.