samedi, décembre 08, 2007

Angélique boxe

Douai depuis le Beffroi

"Il me restait encore une chose à apprendre : partir. Il y a un poème de Cendrars qui dit : "Quand tu aimes, il faut partir". Mais je ne crois pas qu'il voulait parler d'une femme ou d'un homme. Peut-être simplement de la vie. J'ai compris que je voulais partir parce que j'aimais la vie, et sans doute aussi pour m'aimer un peu plus. Et je crois que ça, c'est pas facile, s'aimer un peu. (...) "

"Quand partir n'est pas fuir.

Quand la solitude n'est pas seulement un refuge." Richard Couaillet, Angélique boxe.

Cela arrive parfois. Lire le livre d'une personne que l'on connait bien, ou du moins suffisamment bien pour avoir séjourné dans sa maison, pour l'avoir invitée dans la sienne seule ou avec sa famille, et depuis des années.C'est toujours étrange.

Lorsqu'il s'agit d'un essai, c'est plus simple. Régulièrement, nous avons évoqué la thèse centrale ensemble. Certaines "private joke", certaines charges ou hommages, font sourire, mais rien d'inconnu véritablement ne se révèle dans le livre.

Lorsqu'il s'agit de théâtre, c'est plus professionnel. Le plus souvent nous en avons parlé des journées et des soirées entières, passant au crible chaque personnage, chaque situation dramatique, esquissant à grands traits le contexte politique, sociologique de la pièce. Et puis, la lecture en solitaire succède en général à la mise en scène. La lecture devient le souvenir de représentations fortes en émotions contradictoires selon les soirées.

Lorsque c'est un roman, tout est différent. Soit le roman ressemble à son écrivain (enfin à l'image que l'on se fait de lui lorsqu'on dine, passe des week ends, discute avec lui...), ou tout au moins rassemble ses obsessions, ses thématiques favorites, et le rythme même reflète son mode de vie. Alors là, on ne ressent aucune surprise simplement admiration, agacement, amusement, et tout en lisant on envoie moults clins d'oeils et sourires entendus aux lignes qui défilent.
Soit pas du tout !

Et avec Angélique boxe (Actes Sud), c'est bien le cas.
Seul le décor, le Nord de la France et ses terrils, ses cités minières , ses cités plus récentes, me rappelle son auteur.

Angélique et sa mère sont douées pour la vie dans un univers qui la vide au goutte à goutte. Angélique ressemble, sans doute un peu, à l'adolescente qu'aurait pu être l'héroïne d'Eastwood dans Million Dollars Baby.
Comment ne pas penser à cette héroïne, les femmes qui boxent ne sont pas nombreuses dans notre imaginaire.
Elle boxe pour exister, pour imprimer sa marque dans un réel qui voudrait l'effacer parce qu'elle n'est socialement pas grand-chose et vient d'une histoire et d'une région qui n'existent plus. Elle boxe les imbéciles, ceux qui se soumettent et s'humilient volontairement, ceux qui soumettent et humilient sadiquement.

Et puis, elle part, elle ne fuit pas, elle prend le large. La compréhension de ce qu'un départ peut vouloir dire est profondément touchante. Bouleversante.

Voilà, c'est un beau et simple livre, court, nerveux, qui nous bouscule. Avec des personnages qui continuent deux semaines après de rester à mes côtés : les frères d'Angélique sont des jeunes hommes pas compliqués, bienveillants, entiers, intègres, je les aime beaucoup ; Monsieur Duçon existe, je l'ai rencontré en de multiples exemplaires, là il est réduit à sa quintessence de frustrations et de mesquineries, et c'est très bien ainsi ; le père est le héros émouvant d'une histoire sublime dont il n'a pas les mots...

"J'ai rien à embaumer. J'ai jamais aimé les sarcophages." Angélique c'est une révolutionnaire qui s'ignore encore : "Je n'ai jamais compris ce que cela voulait dire. Et puis même, gagner sa vie, ça voudrait dire qu'il y aurait quelqu'un pour dire si on y a droit, à cette vie. Qui ?"